De retour en prison après sa longue grève de la faim, le chanvrier valaisan veut être un prisonnier comme les autres. Interview de Bernard Rappaz par Judith Mayencourt
Vous avez repris 12 kilos. Comment vous sentez-vous?
-
Très bien. J’ai l’habitude. J’ai fait des jeûnes depuis l’âge de
13 ans. Il faut y aller très doucement. Dès qu’on recommence à manger,
l’appétit revient et on a envie de se ruer sur la nourriture. Le premier
jour, j’ai commencé par des biscottes et du thé sucré, avec un fruit.
Puis j’ai rajouté des légumes cuits à l’eau. Et j’en ai profité pour
adopter un régime sans viande.
Comment avez-vous pris la décision d’interrompre votre grève de la faim?
-
Ça a été une décision très difficile à prendre, j’ai ruminé longtemps.
Lorsque j’ai commencé ma grève, j’étais persuadé qu’en Suisse, en 2010,
on ne laisserait pas mourir de la faim un prisonnier dans sa cellule.
Mais j’ai déchanté. J’aurais pu tenir encore une semaine ou dix jours au
maximum. Je me suis dit: «Qu’est-ce que je fais? Je descends dans le
cercueil ou je mange?» Je suis un militant. Plutôt que de mourir, j’ai
décidé de rester vivant, quitte à refaire une grève de la faim plus
tard. Mon seul objectif, c’était de dénoncer la peine colossale à
laquelle j’ai été condamné pour un produit qui n’a jamais tué personne!
Malgré 120 jours de grève de la faim, vous n’avez rien obtenu...
-
La Cour européenne des Droits de l’Homme a accepté notre requête et m’a
dit: «Mangez en attendant la décision.» J’ai pu sauver la face. On ne
peut pas toujours gagner.
Que retenez-vous de toute cette période?
- J’ai
apporté la preuve que la Suisse était prête à laisser mourir de faim un
prisonnier. La discussion publique a quand même permis d’éclairer
beaucoup de choses, par exemple sur l’alimentation forcée. Les médecins
se sont levés comme un seul homme pour défendre les droits des patients.
Et puis, j’ai reçu des centaines de lettres de soutien. Cet élan de
solidarité m’a nourri!
Il y a eu des critiques très dures aussi.
Lors
de la première interruption de peine, au printemps dernier, un sondage
du Nouvelliste montrait que deux-tiers des Valaisans étaient favorables à
cette décision humanitaire. Mais ensuite, tout a trop tourné autour de
moi. Beaucoup m’ont vu comme un dangereux trafiquant. Je n’ai pas pu
m’exprimer, on m’a isolé comme un prisonnier politique car on avait peur
que je parle. Esther Waeber-Kalbermatten est venue me voir une fois aux
HUG, mais j’ai vite compris qu’elle n’était pas fiable! Elle était sous
pression. C’était plus facile avec Jean-René Fournier. Personne ne
levait le petit doigt contre lui.
Vous avez perdu votre ferme. Un deuxième procès vous
attend. Vous allez sans doute rester en prison pour plusieurs années.
Comment voyez-vous l’avenir?
- Tant que je ne suis pas mort,
je suis debout! Je suis en congé-maladie, puis je vais reprendre le
travail à la ferme de Crêtelongue. Un prisonnier comme moi, c’est le
rêve pour les gardiens. Je suis un paysan, je peux m’occuper du bétail,
tailler les arbres. J’ai besoin d’un travail physique à l’extérieur. Je
ne demande pas de régime de faveur, je veux juste qu’on respecte le
règlement et qu’on m’accorde le même traitement qu’aux autres. Sinon, je
recommencerai une grève de la faim. Je ne ferai pas ça par plaisir. Il
faut quand même une force morale incroyable pour tenir le coup. Mais
comment faire autrement? L’injustice me motive, et c’est mon seul moyen
d’expression en prison.