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Bernard Rappaz: «Tant que je ne serai pas mort, je vivrai debout»

par Presse Mainstream Suisse, 13 janvier 2011
De retour en prison après sa longue grève de la faim, le chanvrier valaisan veut être un prisonnier comme les autres. Interview de Bernard Rappaz par Judith Mayencourt

24H

La voix est joyeuse, pleine d’énergie. Il se dit en forme, et on le croit à en juger la rapidité de son débit, ses fanfaronnades et son envie irrépressible de se raconter. La grève de la faim, le retour à l’alimentation, la difficulté aussi de renoncer à un combat perdu pour éviter de mourir. Car la leçon a été rude pour le chanvrier valaisan. «Je ne croyais pas qu’en 2010, la Suisse serait prête à laisser mourir de faim un prisonnier.» Interview.

Vous avez repris 12 kilos. Comment vous sentez-vous?
- Très bien. J’ai l’habitude. J’ai fait des jeûnes depuis l’âge de 13 ans. Il faut y aller très doucement. Dès qu’on recommence à manger, l’appétit revient et on a envie de se ruer sur la nourriture. Le premier jour, j’ai commencé par des biscottes et du thé sucré, avec un fruit. Puis j’ai rajouté des légumes cuits à l’eau. Et j’en ai profité pour adopter un régime sans viande.

Comment avez-vous pris la décision d’interrompre votre grève de la faim?
- Ça a été une décision très difficile à prendre, j’ai ruminé longtemps. Lorsque j’ai commencé ma grève, j’étais persuadé qu’en Suisse, en 2010, on ne laisserait pas mourir de la faim un prisonnier dans sa cellule. Mais j’ai déchanté. J’aurais pu tenir encore une semaine ou dix jours au maximum. Je me suis dit: «Qu’est-ce que je fais? Je descends dans le cercueil ou je mange?» Je suis un militant. Plutôt que de mourir, j’ai décidé de rester vivant, quitte à refaire une grève de la faim plus tard. Mon seul objectif, c’était de dénoncer la peine colossale à laquelle j’ai été condamné pour un produit qui n’a jamais tué personne!

Malgré 120 jours de grève de la faim, vous n’avez rien obtenu...
- La Cour européenne des Droits de l’Homme a accepté notre requête et m’a dit: «Mangez en attendant la décision.» J’ai pu sauver la face. On ne peut pas toujours gagner.

Que retenez-vous de toute cette période?
- J’ai apporté la preuve que la Suisse était prête à laisser mourir de faim un prisonnier. La discussion publique a quand même permis d’éclairer beaucoup de choses, par exemple sur l’alimentation forcée. Les médecins se sont levés comme un seul homme pour défendre les droits des patients. Et puis, j’ai reçu des centaines de lettres de soutien. Cet élan de solidarité m’a nourri!

Il y a eu des critiques très dures aussi.
Lors de la première interruption de peine, au printemps dernier, un sondage du Nouvelliste montrait que deux-tiers des Valaisans étaient favorables à cette décision humanitaire. Mais ensuite, tout a trop tourné autour de moi. Beaucoup m’ont vu comme un dangereux trafiquant. Je n’ai pas pu m’exprimer, on m’a isolé comme un prisonnier politique car on avait peur que je parle. Esther Waeber-Kalbermatten est venue me voir une fois aux HUG, mais j’ai vite compris qu’elle n’était pas fiable! Elle était sous pression. C’était plus facile avec Jean-René Fournier. Personne ne levait le petit doigt contre lui.

Vous avez perdu votre ferme. Un deuxième procès vous attend. Vous allez sans doute rester en prison pour plusieurs années. Comment voyez-vous l’avenir?
- Tant que je ne suis pas mort, je suis debout! Je suis en congé-maladie, puis je vais reprendre le travail à la ferme de Crêtelongue. Un prisonnier comme moi, c’est le rêve pour les gardiens. Je suis un paysan, je peux m’occuper du bétail, tailler les arbres. J’ai besoin d’un travail physique à l’extérieur. Je ne demande pas de régime de faveur, je veux juste qu’on respecte le règlement et qu’on m’accorde le même traitement qu’aux autres. Sinon, je recommencerai une grève de la faim. Je ne ferai pas ça par plaisir. Il faut quand même une force morale incroyable pour tenir le coup. Mais comment faire autrement? L’injustice me motive, et c’est mon seul moyen d’expression en prison.






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