Comité International pour la Libération Immédiate
des Prisonniers Politiques de la Guerre Anti-Drogues

Actualités

Fernando Henrique Cardoso : Pourquoi il faut décriminaliser la consommation de drogue

par cynoque, 20 avril 2010
Un ancien président de la république qui préconise la légalisation pour résoudre partiellement le problème de la violence des mafias, ça semble dingue ? Pas tant que ça, l'Amérique du Sud est de plus en plus lucide face à ce problème gigantesque, source de nombreux morts. C'est d'ailleurs un sujet d'actualité en ce moment en France, où l'on parle beaucoup de la sortie d'un livre co-écrit par un ancien policier retraité, et par le maire d'une des villes de banlieue les plus, soit disant, dangereuses, Sevran...

Source : La Vie Eco

SAO-PAULO - La guerre contre les drogues est une guerre perdue d'avance. Le moment est venu en 2011 de passer d'une approche répressive à une politique basée sur la santé publique, les droits de l'homme et le bon sens. Telles sont les principales conclusions de la Commission latino-américaine sur les drogues et la démocratie que j'ai réunie avec les anciens présidents Ernesto Zedillo du Mexique et César Gaviria de Colombie.

Nous nous sommes impliqués sur cette question pour une raison impérieuse : la violence et la corruption qui accompagnent le trafic de drogues dans notre région sont une menace grave contre la démocratie. Ce sens de l'urgence nous a amené à évaluer les politiques en place et à rechercher des alternatives crédibles. L'approche prohibitionniste basée sur l'interdiction de la production et la criminalisation de la consommation est manifestement un échec.

A quoi ont abouti les mesures prohibitionnistes appliquées pendant 30 ans avec des moyens considérables ? Simplement à déplacer la production et les cartels de la drogue d'un pays à un autre. L'Amérique latine reste le premier exportateur mondial de cocaïne et de marijuana. Des milliers de jeunes gens continuent à mourir dans des guerres de gangs, tandis que des seigneurs de la drogue règnent par la peur sur des communautés entières.

Notre rapport se termine par un appel à un changement de paradigme. Le trafic des drogues illégales va continuer autant qu'il y aura une demande pour ces produits. Plutôt que de se raccrocher à une politique prohibitionniste qui a échoué et qui ne diminue pas les bénéfices liés au trafic et en conséquence n'affecte pas son étendue, nous devons chercher à diminuer la consommation et à minimiser les dégâts causés par les drogues au niveau individuel et collectif. 

La consommation d'une drogue ou d'une autre se retrouve dans pratiquement toutes les sociétés, et cela de tout temps. C'est un phénomène qui touche toutes les classes sociales. Toutes sortes de gens utilisent une drogue pour toutes sortes de raisons : soulager une douleur ou rechercher du plaisir, fuir la réalité ou au contraire affiner sa perception.

La politique recommandée par la Commission est sans complaisance. Les drogues sont dangereuses pour la santé. Elles altèrent la faculté de décision du consommateur. Le partage des aiguilles répand le virus du sida et d'autres maladies. La dépendance peut conduire à la ruine financière, à des violences familiales ou à de mauvais traitements, notamment à l'égard des enfants.

Le principal objectif doit donc être la réduction de la consommation, ce qui exige de considérer les consommateurs de drogue non comme des délinquants à incarcérer, mais comme des patients à traiter. Plusieurs pays ont adopté cette approche qui privilégie la prévention et le traitement plutôt que la répression – et oriente les mesures répressives sur la lutte contre le véritable ennemi : le crime organisé.

La remise en question du consensus prohibitionniste est de plus en plus vive. Un nombre croissant de pays d'Europe et d'Amérique latine commencent à abandonner une politique purement répressive.

Le Portugal et la Suisse sont des exemples convaincants de l'impact positif d'une politique centrée sur la prévention, le traitement et la réduction des dommages. Ces deux pays ont décriminalisé la possession de drogues destinées à la consommation personnelle. Contrairement à ce que beaucoup craignaient, cela n'a pas conduit à une explosion de la consommation. Bien au contraire, la consommation dans son ensemble a diminué et le nombre de personnes demandant à être traité a augmenté. 

Quand la politique passe d'une approche répressive à une approche de santé publique, les consommateurs de drogue cherchent plus facilement un traitement. Par ailleurs la décriminalisation de la consommation réduit l'influence et le contrôle que les dealers exercent sur le comportement des consommateurs.

Dans notre rapport, nous recommandons d'évaluer l'intérêt de la décriminalisation de la possession de cannabis en termes de santé publique. La marijuana arrive largement en tête de la consommation de drogues. De plus en plus d'éléments montrent qu'au pire les dangers qu'elle présente sont similaires à ceux de l'alcool ou du tabac. Les dégâts associés à sa consommation – de l'incarcération indiscriminée des consommateurs à la violence et à la corruption qui accompagnent le trafic des drogues – sont la conséquence de la politique prohibitionniste en place.

La décriminalisation du cannabis serait donc un grand progrès en direction d'une politique qui traite la consommation de drogue comme une question de santé publique et non comme une question pénale.

Pour être crédible et efficace, la décriminalisation doit s'accompagner de vigoureuses campagnes de prévention. La forte baisse de consommation de tabac au cours des dernières décennies montre que les campagnes d'information et de prévention atteignent leur objectif lorsque leur contenu est cohérent avec le vécu des personnes qu'elles visent. Le tabac a perdu son aspect attirant, il est taxé et contrôlé, mais il n'est pas interdit.

Aucun pays n'a trouvé une solution globale au problème de la drogue. Mais toute politique suppose un choix clair entre prohibition et légalisation. La pire des prohibitions est celle de la pensée. Maintenant au moins le tabou qui interdisait le débat est brisé. D'autres approches existent, il faut examiner soigneusement leurs résultats. 

Une législation et une politique plus humaine et plus efficace sont indispensables pour réguler la consommation de drogue, mais la capacité à évaluer les risques et à faire un choix en toute connaissance de causes est un élément tout aussi important. Oui, les drogues érodent la liberté. Mais il est temps de reconnaître que la répression à l'encontre des consommateurs, enracinée comme elle l'est dans les préjugés, la peur et l'idéologie, constitue une menace sans doute aussi grave contre la liberté.

Copyright: Project Syndicate, 2010.
www.project-syndicate.org
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz






Copyleft 2011 Cwebfrance